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La sélection d'embryons pour une grossesse, eugéniste ?
Pas forcément. La loi doit changer
Aujourd'hui en France, un diagnostic préimplantatoire est autorisé pour des couples souhaitant concevoir un enfant et présentant de forts risques d'anomalies génétiques. Des tests permettent alors d'écarter des embryons porteurs de la maladie en question, mais la loi interdit de le faire pour d'autres anomalies, comme la trisomie 21. Élargir ces tests génétiques ouvrirait la voie à un eugénisme généralisé ? Non, répond Catherine Rongières, responsable adjointe du pôle gynécologie-obstétrique de Strasbourg, qui co-signe cette tribune avec d'autres confrères. Ils expliquent pourquoi la loi doit changer.
Le diagnostic préimplantatoire (DPI) est autorisé en France depuis 1999. Il permet à des couples à risque de transmettre une maladie génétique grave et incurable, de concevoir un enfant indemne de la pathologie.
Le déroulement d'un diagnostic préimplantatoire
Le déroulement d’un cycle du DPI passe par une fécondation in vitro (FIV) permettant d’obtenir des embryons sur lesquels seront recherchés la maladie pour laquelle le couple a été pris en charge.
En effet, au troisième jour de développement embryonnaire précoce, les embryons présentent environ huit cellules toutes équivalentes. Une à deux cellules par embryon seront prélevées en vue du diagnostic génétique. Seuls seront considérés comme transférables dans l’utérus de la patiente en question, les embryons sains ou porteurs sains.
C‘est une technique précise et difficile d’autant que dans la majorité des cas en France, le transfert embryonnaire se fait dans les 24 à 48 heures après la biopsie (J4/J5). Ce qui nécessite une rapidité et un savoir-faire.
Quatre centres seulement en France
Cette pratique est très encadrée en France par la loi de bioéthique et par l’Agence de la biomédecine (ABM), qui veille à l’application de ses règles et contribue à l’élaboration des bonnes pratiques. Seuls quatre centres en France sont autorisés à pratiquer le DPI (Paris, Strasbourg, Montpellier et Nantes).
Ainsi, les couples sont amenés à se déplacer à travers la France, pour accéder soit au centre le plus proche, soit au centre le plus approprié pour la pathologie qu’ils présentent.
En effet, si les quatre centres sont capables de diagnostiquer les pathologies génétiques les plus fréquemment rencontrées, chacun s’est "sur-spécialisé" dans une pathologie spécifique du fait de la difficulté présentée et du temps nécessaire à la mise au point d’un test génétique qui, je le rappelle, s’effectue sur une ou deux cellules seulement.
La spécificité des techniques requiert des praticiens rompus aux techniques de biologie moléculaire, et pas n’importe lesquelles.
Entre le manque cruel de praticiens agréés et le faible nombre de centres autorisés, il est facile d’imaginer le temps d’attente qui est supporté par les couples, même si les professionnels font tout leur possible pour en diminuer la durée.
Une seule pathologie recherchée
La loi précise que seule la pathologie pour laquelle le couple a fait une demande de DPI peut être recherchée, voulant probablement éviter ainsi une sélection embryonnaire qui pourrait être perçue par certains comme une pratique eugéniste.
Mr et Mme M. présentent une pathologie génétique rare, orpheline, qui a nécessité plusieurs années pour mettre la mutation en évidence. Dans leur histoire, il existe une interruption médicale de grossesse (IMG) suite au diagnostic échographique de la pathologie transmise. Ils ne souhaitent plus se confronter à un diagnostic prénatal qui pourrait à nouveau les entraîner vers une IMG et consultent chez nous afin de bénéficier d’un DPI, maintenant que la mutation génétique est identifiée.
Après donc cinq ans d’attente, une tentative de FIV avec DPI est enfin démarrée. Celle-ci se déroule parfaitement bien et un embryon indemne de la pathologie a été transféré dans l’utérus de Mme M. qui est alors âgée de 37 ans et demi.
Celle-ci nous annonce avec bonheur qu’elle est enceinte sur un test de BhCG positif et comme elle habite en région parisienne et qu’elle sera suivie près de chez elle, nous lui demandons de nous mettre au courant de la suite de la grossesse et bien sûr de l’issue de celle-ci.
Après 5 ans d'attente, le fœtus est porteur de la trisomie 21
Comme il n’a été recherché que la pathologie pour laquelle le couple a été pris en charge en DPI, Mme M. est une patiente enceinte comme les autres, et va effectuer les tests du premier trimestre à la recherche de trisomie 21. Ce test aurait pu être effectué en même temps que le test génétique spécifique et sur les mêmes cellules aspirées de l’embryon. Mais la loi l’interdit.
Il s’avère que le fœtus de Mme M. est porteur de la trisomie 21, et le couple fait une demande d’interruption médicale de grossesse.
Ainsi après cinq longues années d’attente et d’angoisse, une IMG et enfin une chance d’obtenir un enfant indemne de la pathologie génétique grave et incurable transmise par le couple M., ceux-ci vont revivre l’horreur d’une nouvelle IMG.
Non pas parce que la technique ne permettait pas de le savoir avant le transfert de cet embryon, mais parce que la loi qui autorise le dépistage de la trisomie 21 chez toute patiente enceinte au premier trimestre, l’interdit sur un embryon avant son transfert.
Pourquoi faire revivre l'improbable à ce couple ?
Pourquoi ces deux attitudes opposées pour un même embryon juste à des âges différents ? Pourquoi infliger à ces couples qui déjà sont très éprouvés par la vie, le risque de découvrir au troisième mois de grossesse une anomalie chromosomique qui aurait pu être dépistée avant le transfert ou leur faire prendre un risque de fausse-couche suite à une amniocentèse de contrôle pour ce même risque et sur un embryon finalement sain?
Si l’on y réfléchit bien, on se confronte à une multitude d’actes coûteux aussi bien économiquement, physiquement que psychologiquement, dans le but d’éviter une dérive eugéniste, comme si le vécu douloureux d’une IMG était le prix à payer pour justifier l’acte lui-même.
Pour ce couple-là, cette histoire est un véritable cauchemar et ils sont très en colère contre cette loi qui les a obligés à revivre l’improbable.
Des échecs répétés qui engendrent culpabilité et dépression
Cette histoire singulière n’est pas la seule malheureusement, et au-delà de l’indication du DPI lui-même, certaines patientes en Assistance médicale à la procréation (AMP) vivent parfois une succession de traitements qui aboutissent soit à une IMG pour anomalie chromosomique, soit et de façon beaucoup plus fréquentes, à des échecs d’obtention de grossesse malgré de nombreux transferts embryonnaires du fait d’embryons porteurs d’anomalies chromosomiques diverses et variées.
Il est aujourd’hui tout à fait connu que les embryons sont pour une majorité (plus de 50% pour une femme de moins de de 36 ans), porteurs d’anomalies chromosomiques plus ou moins complexes qui ne permettront pas d’implantation. Ces anomalies s’aggravent avec l’âge pouvant aller jusqu’à 90% des embryons obtenus chez une femme de plus de 40 ans.
Ainsi, parce que la loi nous interdit d’étudier ces embryons avant transfert, est-il dans ce cas justifié de transférer à ces femmes des embryons "à l’aveugle", sachant que finalement, un ou 2 sur 10 seront capables de donner un enfant en bonne santé ? À l’inverse, est-il justifié de transférer plusieurs embryons avec l’arrière-pensée que sur ces deux ou trois embryons, il y en aura peut-être un de bonne qualité, mais au risque d’avoir finalement une grossesse multiple ?
C’est une multiplication de traitements hormonaux pour rien et humainement un vécu d’échecs répétés qui engendrent culpabilité, dépression et isolement.
Il s'agirait de conserver les embryons sans anomalies
La Belgique, le Royaume-Uni et l’Espagne pour ne citer que les pays européens très proches, ne s’y sont pas trompés et proposent en cas d’échecs répétés ou un âge avancé un diagnostic préimplantatoire de "screening", pour ne transférer que les embryons sans anomalie décelée.
Nous sommes loin d’une sélection d’embryons "parfaits", bien que personne ne saurait définir ce que "parfait" exprime vraiment. Il s’agit juste d’embryons sans anomalies génétiques graves, ce qui les rend viables.
Les techniques aujourd’hui de puce ADN sont très performantes. Elles permettent d’avoir rapidement un panel complet de la "cartographie" des chromosomes.
Les anomalies rencontrées, plus ou moins complexes, permettraient de sélectionner les embryons susceptibles d’évoluer, de s’implanter et de se développer et donc d’écarter ceux qui, malgré leur bonne "morphologie", n’évolueront pas à court ou moyen terme (fausse couche autour de 25% des grossesses) ou seraient susceptibles de donner une trisomie viable (21 mais aussi 13,18...).
Déterminer le nombre et l’équilibre des chromosomes
Il ne s’agit en aucun cas de choisir des embryons en fonction de caractéristiques physiques (couleur de cheveux, des yeux) ou de sexe (fille, garçon) ou encore moins intellectuelles, puisqu'il n’existe pas de "gêne" de l’intelligence.
Il n’est pas question non plus de dérouler une liste complète de toutes les maladies génétiques (mutation de gênes et non plus anomalies de nombre des chromosomes).
Il s’agit juste de déterminer si le nombre et l’équilibre des chromosomes d’un embryon est acquis, ce qui augmente considérablement ses chances d’implantation et d’évolution. Et la loi peut être très claire là-dessus.
Nous avons les moyens techniques, il faut que la loi change
Attention, si cela est nécessaire ce n’est pas suffisant, et d’autres risques de malformations ou de pathologies existent quand même.
Le but de cette démarche n’est pas "d’éliminer les risques de malformations ou de maladies génétiques" de ces futurs enfants à naître, mais juste d’augmenter les chances d’une grossesse évolutive à chaque transfert embryonnaire.
En contrepartie bien sûr, il y aurait moins de transferts possibles et moins d’embryons surnuméraires conservés, puisque moins d’embryons transférables, mais moins de déceptions, d’échecs répétés et d’angoisse difficilement supportés par les couples.
Il est nécessaire d’encadrer ces pratiques, mais entre tout autoriser sans contrôle et tout interdire, il y a évidemment cette attitude intermédiaire vigilante et sécurisée.
Les professionnels qui connaissent bien l’enjeu pour les patients, que représente une démarche d’AMP, souhaitent pouvoir leur offrir les meilleures chances de succès. Nous en avons les moyens techniques, il faut que la loi change.